Comme entre deux eaux, dont elles auraient emprunté la teinte jade pâle, les œuvres de Camille Schpilberg semblent flotter lentement, en silence, dans l’espace qu’elles ponctuent. Reliefs naturels, architectures diverses, la tension qui anime certaines donne l’impression qu’elles prennent un instant appui avant de bondir, de repartir tandis que d’autres, au contraire, se posent pour respirer.
Avant de commencer son apprentissage de la céramique Camille rêvait de cuissons au feu de bois, d’argile qu’elle serait allée collecter elle-même dans la nature… Mais, très vite, elle a admis que sa démarche serait plus intériorisée. Et c’est tout naturellement qu’elle a retenu comme moyen d’expression le délicat travail de porcelaine à la plaque que nous lui connaissons, que ce soit dans l’élaboration de ses pièces utilitaires ou des sculptures qu’elle nous présente aujourd’hui.
Si certaines de celles-ci sont fermées sur elles-mêmes, les plus récentes se présentent plus ou moins ouvertes, laissant ainsi visible leur structure interne. En effet, le choix artistique de Camille implique de penser ses pièces de manière à supporter la charge de matière dont elles sont composées pendant le séchage, mais aussi la cuisson. Elle va donc les « construire » comme on réalise une architecture avec des étais, des contreforts, des reprises de charge. Elle va montrer toutes les étapes de ce travail. Car elle ne veut rien cacher, tout raconter, sans chercher l’artificiel ou le spectaculaire ; elle colle à la barbotine teintée de vert jade les différentes parties qui composent l’œuvre. Elle souligne ainsi les jointures de ce trait, accentuant le contraste de la « couture » rendue de la sorte visible et esthétique, constante que l’on retrouve dans tout son travail.
Ces réalisations, dont elle a présenté les prémices à l’occasion de l’exposition Les 25 ans du Lavoir – Parcours céramique dans la ville (10 décembre 2011 – 8 janvier 2012, Clamart) vont alors, assez naturellement, faire référence à l’architecture. Que ce soit celle des paysages naturels, scandés de montagnes avec leurs arches sculptées par le vent et l’eau, ou des constructions, églises, abris, édifiés par l’homme. Cependant, alors même qu’elle travaillait à cette exposition, elle s’est aperçue qu’une autre source d’inspiration coexistait parallèlement à ses références au monde minéral. Un monde plus organique, aux contours plus diffus, que ses dessins préparatoires lui restituaient. Ainsi par exemple de l’instant fugace d’un animal aux membres tendus prêt à bondir. Le trait devenait alors plus expressif afin de souligner, appuyer, exprimer tel souvenir visuel, telle impression. Elle va alors évoquer ce substrat en volume. En ligne serait-on tenté de dire, tellement certaines de ses œuvres sont graphiques dans leurs contours tandis que les jeux d’ombre qu’elle y introduit leur confèrent une autre consistance.
Réalisés en hiver, ces travaux évoquent aussi le temps de repos entre les saisons pendant lequel l’humus se décompose plus lentement, dans une sorte de fermentation positive, matrice dans laquelle se prépare le printemps. Une sorte de sommeil préparatoire de la nature peuplé de rêves et d’images futures de plantes. De la même façon d’ailleurs que surgissent du fond d’un lac des formes et des objets aux contours flous dont on ne sait s’ils émergent du néant ou s’ils y retournent.
Il en est de même de ses œuvres qui ne donnent pas de référence mais simplement une ambiance. Celle d’un monde en devenir que l’on peut visiter déjà, qui a une profondeur, une épaisseur qui porte ombre. Cette ombre dans laquelle les souvenirs mais aussi les rêves peuvent prendre forme et dont certaines pièces permettent d’observer le déplacement créatif.
Et c’est donc à suivre cette lente élaboration que Camille nous convie aujourd’hui, à plonger comme elle au fond de nous-même afin d’y trouver, dans cette ambiance ambivalente du rêve et des souvenirs, des impressions et des sentiments, la force nous aussi de « construire au fond du lac… »
Eric Berthon