Né en 1975, Christophe Betmalle commence son apprentissage de la peinture à onze ans, dans un atelier de Verrières-le-Buisson, avant d’effectuer des études supérieures d’Arts Plastiques à l’université de Paris 1. Dès sa première exposition au Salon « Art Contemporain 2000 » porte d’Auteuil à Paris, les caractéristiques de son art sont déjà en place.
Tout d’abord, ce qui marque immédiatement, c’est la dimension de ses supports. En effet, il travaille essentiellement sur des formats de grande taille, car il aime, dit-il, « l’idée qu’une peinture puisse contenir physiquement celui qui la regarde, qu’elle soit comme une porte ouverte sur une autre réalité.»
À la taille du tableau s’ajoute un effet de matière, « l’épaisseur » des personnages, obtenue par mélange et superposition de différentes techniques comme le collage de papiers faisant plus ou moins corps avec le support, jusqu’au travail du matériau lui-même par grattage… Il n’est pas surprenant alors qu’il affectionne des papiers artisanaux aussi divers que les papiers d’écorce mexicains et ceux en provenance du Népal, d’Inde, du Bhoutan, de Chine, de Corée etc.
Les sujets abordés par Christophe Betmalle sont aussi révélateurs de ses choix. Rejetant toute appartenance à un mouvement ou une école, il interroge, de manière récurrente, la figure humaine qui est son sujet de prédilection. Si à ses débuts ses toiles étaient habitées de personnages, très vite il se limite aux seuls visages qui sont comme son fil d’Ariane. Il les traite soit à la manière d’une galerie d’ancêtres soit, comme il procède aujourd’hui, en juxtaposant sur le même support une multitude de « portraits » symboliques.
La composition de ses peintures reflète sa connaissance de la Renaissance italienne qu’il admire particulièrement et que ses nombreux séjours en Italie lui ont rendue familière. En effet, hiératiques, les personnages apparaissent coupés à mi-corps, de profil, à la manière des médailles antiques. Souvent, ils habitent une pièce vide, lieu de réflexion et de transition, où, par une fenêtre ou une porte ouverte, entre un flot de lumière accentuant l’espace comme dans Diptyque. Mais la référence s’arrête là car, dès 2004, dans la même œuvre, ils semblent pivoter dans l’espace donnant à voir leur visage de face et de profil.
Ce dédoublement des figures est un élément majeur de son art. En effet, la thématique récurrente de son travail « est celle de l’identité et la multiplicité des facettes d’une même personnalité. Le rapport entre l’extérieur – l’apparence, ce que l’on donne à voir – et le monde intérieur, celui de l’inconscient – [l’] intéresse particulièrement. ». Il ne s’agit donc pas de la représentation des divers angles de vue « physique » d’un même individu mais plutôt celle de ses émotions et de leurs variations.
Tout dans son œuvre tourne ainsi autour de la vaste question : qui suis-je ? Qui est l’autre ? Et il pose cette question, inlassablement, réalisant ainsi une sorte de journal intime témoignant de ses diverses émotions, interrogations, doutes, évoquant amours, abandons, frissons, souvenirs. Avec la maturité et l’expérience, les visages se multiplient et creusent la surface du papier, révélant ainsi la richesse de sa personnalité. Parfois, une main apparaît dans le tourbillon qui les entraîne comme si elle tentait d’en interrompre le mouvement.
D’un point de vue pictural, son choix chromatique doit être souligné. Ces papiers, sur lesquels il crée, possèdent des couleurs très riches, très denses qu’il va ensuite nuancer par l’ajout des différents médiums -tempera, encre, aquarelle ou gouache- qu’il utilise concurremment dans toutes ses œuvres. Et c’est le rouge qui revient comme un leitmotiv. Couleur dont il juxtapose les nuances – le carmin, le rouge carotte ou le cinabre – et qu’il utilise pour souligner l’appétit de vivre de ses personnages et l’intensité des émotions qui les traversent.
Cette volonté de témoigner des différents états ou moments de l’âme humaine se retrouve dans sa sculpture. Depuis 2008, en effet, il s’interroge sur le volume. Il a réalisé, notamment, une série de sept têtes en plâtre, qu’il a le projet de faire couler en bronze. Sur ces pièces, qui figurent diverses expressions, apparaissent des mains, tour à tour caressantes, dérangeantes, protectrices, qui perturbent la perception sensorielle de ses personnages mais aussi la nôtre.
Dans le même temps, il a réalisé un moule afin de pouvoir modeler ou couler des têtes monumentales en grès et en porcelaine. Malgré les réductions liées au séchage et à la cuisson, ces pièces gardent, une fois achevées une très forte présence. Là encore, se retrouve son désir de permettre au spectateur de se confronter physiquement à son œuvre. Une fois démoulées et retravaillées, ces pièces sont peintes avec des pigments céramiques, des engobes et des oxydes, avant d’être cuites. Elles sont une transposition de ses recherches picturales en matière de représentation plurielle de l’individu et se doublent d’une volonté d’adéquation entre le décor et la forme.
Il renoue un peu, en cela, avec les recherches qu’il avait été amené à réaliser au printemps 2006 pour l’opération Vach’Art, expérience qui lui avait permis de présenter une vache intitulée Gaïa ornée de deux nus qui avait connu un certain succès. Ces « Têtes » recevront-elles le même accueil ?
Dans cette mise en abyme de visages, il nous parle toujours de lui, de nous, de nos réactions et de nos états d’âme.
Eric Berthon