Sagement installé sur les socles, tout un peuple de chats, lapins et souris regarde en direction du canapé, là même où, nous autres humains, nous asseyons afin de prendre du repos et de la distance pour mieux voir les œuvres exposées. Surprenante présence qui déconcerte : qui regarde qui ? Qui fait l’homme, qui fait la bête ? Ces animaux affichent tous la même solitude désarmée. Il émane d’eux une simplicité et une franchise déroutantes, une spontanéité et une sincérité qui font mouche car elles n’interpellent rien d’autre que nos propres émotions et souvenirs.
Née à Grenoble dans une famille d’artistes, Sophie étudie le dessin à l’Académie Frochot en 1970, puis suit les cours de l’Ecole Nationale des Beaux-arts de 1971 à 1973.
Attirée par le dessin d’illustration et la bande dessinée, façon Claire Brétecher ou Reiser, les aléas de la vie l’en éloignent pour un temps pendant lequel elle travaille dans la publicité.
Elle apprend à travailler la terre auprès de sa mère et se passionne très vite pour cette matière qui lui permet immédiatement d’imaginer et de donner corps à des personnages ou à des animaux, d’abord au tour, puis par modelage. Elle créait alors « à temps perdu.» Puis, un jour, les circonstances lui ont donné l’occasion de saisir sa chance. Elle a trouvé des galeries pour exposer ses figurines à la fois drôles, intelligentes et subtiles, et des clients…
Aujourd’hui, elle possède son atelier avec un petit four électrique. «Il détermine la hauteur maximale de mes pièces : 70 centimètres.» Ce qui ne la gêne pas. «C’est lourd, une pièce gorgée d’eau, vous savez!».
Parallèlement, elle peint. « Je regarde tout ce qui se passe dehors, près de chez moi. Il y a des jours où je trouve les gens très moches et puis d’autres fois où ils m’inspirent ! » L’artiste couche le fruit de ses observations sur du papier, qu’elle maroufle ensuite sur toile ou sur bois. Le traitement pictural de ses sujets leur confère une dimension autre, encore plus tendre, plus intemporelle, plus nostalgique. Elle aime le trait léger du crayon noir et confirme son goût pour les pigments couleur de terre.
Mais c’est encore l’argile dont elle exploite les innombrables nuances et possibilités qu’elle préfère pour façonner les êtres peuplant son univers. « C’est comme si j’avais un carnet de croquis et que je dessinais, sauf que je sculpte mes personnages avec ma terre noire, qui ressemble à du crayon lorsqu’elle est cuite ».
Et sous ses doigts tout un monde prend vie dans lequel les animaux nous empruntent leurs sentiments et leurs expressions. Certains sont en capuche, les plus modernes. Les traditionnels sont vêtus comme les personnages de Brueghel. «Je me sens inspirée par la peinture flamande » dit Sophie. Mais il est temps de revenir à ses œuvres pour en apprécier le délicat modelé, les détails expressifs et ressentir la complicité qui se crée naturellement entre eux et nous devant le spectacle du monde qu’ils observent, comme dans un théâtre, du haut de leurs gradins…
Eric Berthon