Une palette restreinte et des formes géométriques simples, voilà ce qui frappe une fois le seuil franchi.
En effet, des parallélépipèdes et des cubes crème ou noirs, parfois revêtus de lustre métallique ou d’or scandent l’espace de la galerie. Mais est-ce là tout ce qu’il convient de voir ?
Non pas. En effet, à l’examen, chaque œuvre semble être une variation d’une forme géométrique identique dont l’intérieur serait rendu visible grâce à des crevasses ou à des déchirures. Et un examen plus poussé révèle que cet intérieur est soit vide, soit constitué d’une sorte de pâte remplie de bulles. Qu’est-ce donc ?
Joan Serra prend des blocs d’éponge de dimensions variables qu’il va immerger dans de la porcelaine, mais aussi de la faïence blanche ou de l’argile rouge, rendue noire par l’adjonction de manganèse, utilisée par les céramistes catalans pour la confection des jarres, la même que celle utilisée par Maria Bosch. Vient ensuite le temps du séchage. Celui-ci est très long, on l’imagine aisément, compte tenu de l’épaisseur de matière. Au cours de cette étape certaines déchirures interviennent. Ce bloc de matière ne doit rien au modelage mais l’artiste en dirige les modifications en utilisant des matériaux dont la densité varie de manière intrinsèque (porcelaine, argile, faïence) ou relative du fait de l’utilisation d’un élément qui disparaît lors de la cuisson comme le fait l’éponge. La forme ainsi obtenue peut être laissée telle quelle ou être engobée pour en modifier la couleur ou encadrée de plaques de terre différente pour donner l’impression qu’elle est revêtue d’une « peau » et créer des contrastes entre le lisse de l’extérieur et le texturé de l’intérieur. Cet intérieur qui sera révélé par la cuisson.
L’artiste, en effet, introduit une autre variable. Celle de la température retenue. En effet, celle-ci varie du point de vitrification minimum à partir duquel l’argile ne se dissout plus dans l’eau, jusqu’au point de fusion ou de semi fusion de la matière. Ce processus fera apparaître une large palette de changements dans la forme de départ, révélant des aspects nouveaux et inattendus du jeu entre la matière et le feu.
« La dilatation et les contractions, la perte de volume lors de la vitrification, les changements de forme induits par la fusion, les mouvements d’une masse sur une surface instable… voilà les conditions qui font penser à l’évolution originelle de la Terre, recréant ainsi à l’échelle humaine le pouvoir de la nature.
Les formes existent déjà. Mon travail consiste à les découvrir, à leur permettre d’apparaître… » affirme Joan Serra. Ceci est très minimaliste, comme le souhaitent les artistes de l’ « arte povera », sans manquer de poésie.
Eric Berthon