Un des privilèges du galeriste, mais aussi une de ses raisons d’être, réside dans sa capacité à déclencher des rencontres entre les artistes dont il suit les recherches. Elles peuvent susciter des travaux à quatre mains, comme ce fut le cas pour Anne Verdier et Jérôme Galvin en 2012, ou donner lieu à des collaborations, dont résultent des œuvres qui, sinon, n’auraient pas été « pensées ». Cela a été le cas lors de la rencontre d’Anne Xiradakis et de Philippe Godderidge en 2013, et celle d’Arnaud Franc et J.P. Racca-Vammerisse en 2014.
Les amateurs de céramique connaissent J.P. Racca-Vammerisse. C’est un jeune artiste dont ils ont pu voir quelques œuvres du 3 au 7 octobre 2012 à l’occasion du 9ème Salon de la Céramique Contemporaine, Céramique 14, Paris XIV. Récemment diplômé de l’Ecole Supérieure d’Arts Plastiques de la ville de Monaco, il a compté Daphné Corregan parmi ses professeurs. Pour la galerie accroTerre, il a déjà réalisé une série de pièces les Montagnes lasses qui ont figuré à l’exposition collective, La céramique, un art engagé ?, qui s’est tenue du 4 au 28 septembre 2013.
La décision de présenter JP Racca-Vammerisse à Arnaud Franc, un peintre figuratif qui dessine et peint d’après modèle, en vue d’une exposition commune, a été instinctive. Rapidement, ils ont échangé sur leur manière de travailler, puis JP Racca-Vammerisse a posé pour Arnaud Franc. Si les séances se déroulent dans le silence, les changements de pose et les moments de repos sont autant d’occasions de discussions, dans lesquelles ils se sont découvert des points communs ; ils ont ainsi établi un parallèle entre l’acte créatif et le concept de « cristallisation » inventé par Stendhal pour décrire le phénomène d’idéalisation à l’œuvre au début d’une relation amoureuse. La cristallisation, pour l’écrivain, s’inscrit dans un processus en plusieurs étapes par lesquelles le sentiment amoureux évolue en grandissant.
Les modes de création de ces deux artistes sont très proches. Arnaud Franc observe son modèle, à qui il laisse le plus souvent le choix de la pose ; dès qu’il ressent son énergie, il réalise de manière quasi-automatique une œuvre très graphique, en noir au fusain, pastel ou crayon gras. De la même manière, JP Racca-Vammerisse fait jaillir les formes de sa motte de terre dans un élan instinctif et irraisonné. Tous deux atteignent ainsi la première étape de la cristallisation, en installant les lignes directrices de leur œuvre. JP Racca-Vammerisse autour d’un vide central plus ou moins apparent, Arnaud Franc en quelques traits plus ou moins nets.
Ce n’est que plus tard, bien après l’émotion initiale, qu’Arnaud Franc fait intervenir la couleur qui « habille », souligne, accentue un mouvement, une attitude, dans une sorte de chorégraphie sensuelle et barbare. JP Racca-Vammerisse, quant à lui, doit attendre plusieurs jours que la terre sèche avant de procéder à la mise en couleur, l’émaillage, pour en souligner ou accentuer la ligne. Cette étape pouvant être, dans les deux cas, reprise autant de fois que nécessaire, avant d’aboutir à l’œuvre achevée.
C’est à la concrétisation de cette « cristallisation », à la prise de conscience des stades par lesquels l’idée passe pour aboutir à la réalisation concrète des oeuvres graphiques de l’un et des céramiques de l’autre que nous invite la galerie accroTerre aujourd’hui.
Eric Berthon et Laurent Cellier