Nue : titre qui n’est pas banal pour une exposition de céramique. Mais c’est ainsi qu’apparaît la militante égyptienne Aliaa Magda Elmahdy sur la photo d’elle-même qu’elle a postée sur son blog Journal d’une rebelle (A Rebel’s Diary) et sur Twitter le 23 octobre 2011 pour protester « contre une société de violence, de racisme, de sexisme, de harcèlement sexuel et d’hypocrisie ».
Très sensible à ce qui se passe dans les pays arabes, à la place qu’y occupe la femme, aux manifestations physiques sur elle, aux viols qui se multiplient, Karima a décidé d’abandonner ses personnages intemporels. Ne possédant pas de visage nettement dessiné pour faciliter l’identification du spectateur, ils semblaient auparavant regarder quelque chose se déroulant devant eux, dans la profondeur de leur champ de vision. Aujourd’hui, le personnage fait face, il échange un regard avec le spectateur qu’il questionne tandis que le trait se développe en souples arabesques qui l’enveloppent, pour le cacher mais aussi le révéler. Ainsi, ses personnages semblent comme revêtus d’un voile ou d’une burqa agitée par le vent. Karima traite ainsi le vêtement et le voile islamique comme un simple ornement qui recouvre, mais aussi qui dépasse du corps, qui le noie dans ses plis et dans son abondance.
Ce décor prend essentiellement place sur des boîtes. La boîte traduit certainement un désir d’intimité. Et quoi de plus normal lorsque l’on a grandi dans une famille nombreuse dans laquelle il faut se faire une place au sein de la fratrie ? Mais une nouveauté apparaît : le couvercle n’est plus aussi hermétiquement clos qu’auparavant, il dépasse. Avant, il était dans le prolongement des côtés de la boîte, plus ou moins visible et s’ouvrait et se refermait avec difficulté. Maintenant il est plus visible, et prend une importance particulière, car s’il ferme encore, il ne ferme plus aussi complètement qu’avant et surtout la boîte s’ouvre plus facilement. Il y a là, ouverture vers l’extérieur mais aussi introduction d’un élément d’architecture qui transforme la boîte en une pièce de construction, une partie d’un ensemble plus vaste.
Ce décor est réalisé avec des engobes colorés, appliqués avec des pinceaux taillés le plus fin possible, raclés, grattés. Il s’élabore comme une sorte de palimpseste. Très souvent on peut voir les traits successifs des dessins de Karima. Au début, elle cernait ses personnages d’un trait comme les peintres du XIXème le faisaient, les nabis par exemple et plus particulièrement Bonnard qu’elle admire beaucoup. Maintenant, le trait se fait plus souple, plus décoratif. Il évoque une sorte de tatouage, mais aussi une sorte de voile, de tissu qui flotte au vent, qui couvre et découvre, qui cache et qui révèle en attirant l’œil. Le caractère pictural de ces décors ne lui échappe d’ailleurs pas, elle qui a commencé par la peinture sur toile avant de venir à la céramique et à son volume. Elle réalise d’ailleurs encore des gravures sur porcelaine à partir de presses de plâtre couvertes de plusieurs couches d’engobes sur lesquelles elle dessine, avant de procéder à un transfert sur la plaque de biscuit de porcelaine.
En même temps, c’est une sorte de mise à nu personnelle. Une volonté de dire plus sur elle-même, de se livrer, en évoquant, avec la céramique, son volume, sa matière même, son arrière grand-mère maternelle potière, qui réalisait de la céramique utilitaire, avec les décors, les tatouages au henné de sa mère, les arabesques et les couleurs des tapis traditionnels arabes de son enfance. Karima est ainsi arrivée à un moment charnière de sa vie où elle se sent proche des artistes féminins de Tunisie et d’Egypte, de toutes les femmes qui luttent pour leur liberté dans les pays arabes et contre les conditions de vie qui leur sont faites là bas.
L’art de Karima est donc un art qui s’implique, s’engage dans les problématiques actuelles que sont la montée des intégrismes et plus généralement la lutte pour la liberté de parole, de mouvement, d’information, de création.
Eric Berthon