En avril 2012, lors d’une visite de l’atelier de Coralie Courbet, Philippe Godderidge écrivait : « Le verbe « cuire » commun à la cuisine et à l’atelier éclaire sans mystère cet ensemble de pièces : « les bocaux » ; réalisés en même temps et dans le même espace de cuisson que ceux qui conserveront les légumes du jardin, ceux-ci conservent les petits extraits d’univers qui, l’entourant, constituent le monde créé par Coralie Courbet. »
« Notes de voyages ou souvenirs de pièces anciennes, petites choses glanées au hasard des jours, objets insignifiants (mais pas insanes), tout est systématiquement collecté et conservé ici, en milieu stérile. Stocké comme on range les confitures. Chaque bocal est le raccourci calme et silencieux d’un monde où les conflits et les expérimentations eurent lieu. Chaque bocal est saisi par la cuisson. Figés dans une immobilité qui semble dépasser notre temps, ils nous placent hors de la sphère et nous obligent à la contemplation. Il faudrait le collier de Micromegas pour y percevoir les métamorphoses passées. Regarder à travers les diamants ces bijoux enfermés qui, accumulés, tentent la re-création d’une histoire personnelle. C’est par ce jeu du géant et du nain – étant là plus grand que l’espace que l’on contemple – que l’on peut peut-être entrevoir ce qui, inexorablement, nous pousse à continuer à vivre. « Les bocaux », alignés sur les étagères nous rappellent simplement que la céramique fut d’abord une préoccupation quotidienne. Qu’elle fut liée à la conservation des aliments récoltés et que, par ce fait, elle reste une activité dont dépend, un moment, notre propre survie. » (Philippe Godderidge, 2012).
Indépendamment de leur fonction mémorielle spécifique que souligne Philippe Godderidge, la richesse chromatique de ces bocaux nous émerveille, réveille notre curiosité et, rapidement, des images surgissent qui tentent de « comprendre » ce dont il s’agit. Des fruits et des légumes séchés ? Des champignons ? Des minéraux ? Des coraux ?
Toujours cette volonté de réduire notre monde à ce que nous en connaissons ou croyons connaître. Mais cette réduction n’est pas stérile puisqu’elle permet le jaillissement d’images colorées qui nous appartiennent, ce qui souligne encore ce que cette expérience a de général. Nous aussi, à une moindre échelle, nous possédons des boites, de métal ou de plastique, remplies de tout un monde qui est le notre, auquel nous nous reportons avec plus ou moins de nostalgie et qui constituent notre propre « cabinet de curiosités ». Apparus à la Renaissance en Europe, ceux-ci sont les ancêtres de nos musées actuels. Y étaient entreposés et exposés des objets collectionnés, avec un certain goût pour l’hétéroclisme et l’inédit. On y trouvait couramment des médailles, des antiquités, des objets d’histoire naturelle (comme des animaux empaillés, des insectes séchés, des coquillages, des squelettes…) ou des œuvres d’art.
Aujourd’hui, le propos de Coralie est sensiblement différent. En choisissant de présenter essentiellement des bocaux remplis de pièces plus ou moins anciennes issues de ses recherches, fragments ou essais, elle introduit une fonction autre qui est celle de s’offrir au travail de la mémoire, la sienne certes, mais aussi la notre, en nous invitant à une réflexion sur son itinéraire créatif.
Bien que les bocaux ne soient pas rangés chronologiquement ils constituent, à n’en pas douter, un rassemblement de memorabilia ou mirabilia, soit des choses, objets ou éléments mémorables, des souvenirs à mémoriser, ensemble que les historiens nomment « chambre de merveilles ».
N’est-il pas troublant, ou plutôt satisfaisant de constater que, par delà les époques, les mêmes concepts recouvrent des « expressions » différentes et que les céramistes français, partie prenante de la scène artistique contemporaine, s’inscrivent, sans faire de bruit, dans des concepts séculaires auxquels on aurait pu les croire, un instant, étrangers ?
Eric Berthon