Etre filmé en permanence est certainement une expérience inquiétante. Le moindre mot est enregistré et peut être décontextualisé au détriment de son auteur. Est-ce la raison pour laquelle Jérôme Galvin a exploré, pour son exposition préparée à la suite de sa participation à l’émission « Tous pour l’Art » diffusée actuellement sur Arte, des éléments composant la maison avec d’un côté la cheminée, de l’autre le toit, sa gargouille, plus loin des briques dans un souci compréhensible de protection ?
Celles-ci, réalisées à partir d’une brique réelle dont elles sont la matrice évidée, fonctionnent à l’évidence comme un espace de rangement, un tiroir. Elles contiennent, pèle mêle, du verre de bouteille de bière fondu, des briques réelles, des éléments de nourriture et de vaisselle, un pilier d’enfournement et des morceaux de céramique, sorte de clin d’œil à son exposition avec Anne Verdier, ici même en mars 2012. Les « restes » sont d’ailleurs là comme les tessons de magnifiques plats anciens au riche décor, évoquant celui des faïences d’Iznik, qu’un archéologue pourrait avoir découverts mais dans lesquels il faut plutôt voir des morceaux de vaisselle brisée au cours d’un festin trop largement arrosé. Là encore, on retrouve cette esthétique du fragment que Jérôme a découverte lors d’un marché à Bandol après un coup de mistral qui avait renversé des pièces sur son stand et sur celui d’Anne.
Mais, en regardant ses nouvelles œuvres, on retrouve toujours la transgression volontaire des formes et de leur usage à des fins plastiques. C’est ainsi le cas de ces plats réalisés avec la complicité de Full Mano, troués, brodés par ce dernier, devenus de la sorte inutilisables malgré la référence constante à des formes archétypales de vaisselle de table faisant partie du vocabulaire formel de beaucoup d’entre nous. De la même manière, évoquant sa rencontre avec Alice Mulliez lors du tournage de l’émission « Tous pour l’Art » il a, pour un instant, redonné à certaines de ces œuvres une fonction culinaire en réalisant des parts de tarte, fictives ou réelles, disposées dans des assiettes et des plats de service sur lesquels il a laissé « en blanc » l’emplacement qui leur est réservé. Le plat devient alors indissociable de sa fonction puisqu’il est incomplet sans la part de gâteau qu’il est cessé contenir. Il ne s’agit donc pas d’un trompe l’œil mais bien d’une interrogation sur l’usage de la pièce.
Dans le même temps, Jérôme reste fidèle à son large répertoire iconographique qu’il utilise indifféremment sur ses céramiques ou dans ses œuvres sur papier comme le double portrait de l’artiste et de Full Mano ou le couple de punks qui dialoguent au revers de la pièce « We trust » ou du fond d’un plat à son recueil de gravures. Recueil dans lequel figure, en bonne place, le portrait de l’artiste Max Liebermann sur lequel Jérôme et Alice Mulliez ont été amenés à travailler dans le troisième épisode de l’émission d’Arte et que Jérôme a ainsi incorporé à son vocabulaire décoratif.
Les œuvres créées à l’occasion de cette exposition peuvent donner lieu à une autre lecture. S’y côtoient, en effet, des horizontales et des verticales, des formes rectangulaires aux angles vifs et d’autres plutôt rondes instituant une sorte de rythme, de balancement. Ce mouvement qui est d’ailleurs le sien lors de la création ainsi que nous l’avions souligné lors de sa première exposition en avril 2011 en évoquant la « danse » qu’il exécute avec la terre qui prend forme sur son tour à hauteur de hanche.
Dans le développement de ce que Jérôme ressent comme un « rythme musical », dont les œuvres formeraient des notes aux valeurs chromatiques diverses, certaines pièces constituent une sorte de leitmotiv. Il en est ainsi de ces bols, richement décorés, revêtus de formules diverses. Certes, aujourd’hui, ils ont perdus toute possibilité d’être utilisés, mais ils demeurent tout de même une critique plus ou moins violente et à peine voilée de ces bols porteurs de prénoms que l’on trouve à l’envie dans les stations balnéaires et dont l’abondance flirte avec le mauvais goût.
Ce décalage, Jérôme le revendique et l’illustre. Avec la pièce « We trust » ornée à l’endroit le moins visible, le revers, où se trouve habituellement la signature de l’auteur et le nom de la fabrique, ce qui oblige à poser l’œuvre sur le côté alors que l’intérieur est inaccessible. Il en est de même avec « Le vrai du faux », ornée de façon identique, qui reprend la forme d’une baratte à beurre et dont la fonction est contredite par la manière dont le décor est posé. Dans le même temps, ces deux œuvres illustrent le travail de recherche que fait Jérôme sur les socles avec notamment celui de la seconde pièce qui, porté à une température élevée, s’est brisé à la cuisson, déterminant trois morceaux reprenant le découpage ternaire du décor. Il en est de même avec l’œuvre intitulée « 5 € la crêpe » dont le socle porte naturellement le seul décor coloré, celui des crêpes étant simplement, et naturellement, estampé.
Il y aurait encore beaucoup à dire sur le travail réalisé pour cette exposition tant Jérôme a exploré de pistes différentes que ce soit seul ou avec la complicité de ses invités. Si nous ne devions retenir qu’une chose, que ce soit sa confiance en notre capacité d’analyse, en notre compréhension de sa démarche ainsi que l’affirme le titre de son exposition. Cette démarche qui consiste à aller au delà du matériau, de la forme, du décor et de la fonction traditionnelle de la céramique, qu’elle soit vaisselle ou élément de construction, pour réfléchir sur son statut actuel dans le monde de l’art.
Eric Berthon