Kahla est une petite ville de Thuringe en Allemagne dont le nom est connu au-delà des frontières grâce à la compagnie Kahla-Thüringen Porzellan GmbH, fondée par Christian Eckardt. Fondée en 1844, celle-ci fut, jusqu’en 1914, l’une des usines de porcelaine les plus grandes d’Allemagne et emploie encore aujourd’hui environ trois cents ouvriers à la production d’une vaisselle de porcelaine blanche au décor végétal ou géométrique bleu.
Soucieuse de rester ouverte au design contemporain, cette usine organise périodiquement un atelier dans lequel elle invite de jeunes artistes autour d’un thème. Ceux-ci pendant leur séjour ont a leur disposition terre, moules, fours, afin d’explorer les possibilités et les contraintes de la porcelaine. Rebecca faisait parti de la session de 2010 réunie sous le thème « inventure » que l’on pourrait traduire par « aventure en territoires inconnus » ….
N’étant pas, à proprement parler, designer en vaisselle utilitaire, Rebecca s’est piquée au jeu de cette aventure, en interrogeant les formes archétypales de la céramique de table. En effet, certaines formes sont fixes depuis les temps les plus anciens comme la théière, le pot à lait, la tasse, le pichet… même si leurs noms et leur fonction ont pu subir des modifications selon les époques et les civilisations. Rebecca qui, par ailleurs, a beaucoup travaillé dans la recherche de formes évoquant les époques les plus anciennes de l’évolution de la Terre (série des anthozoa, acanthocoelenteron, zoophytes et archigonie), a tout naturellement croisé les unes et les autres lors de son séjour à Kahla.
C’est tout d’abord une interrogation très ludique des formes à qui elle a soigneusement ôté toute velléité utilitaire avec ce service décoré de bleu aux anses veloutées dont, certes les tasses peuvent éventuellement être utilisées, mais dont la théière est impraticable du fait de son couvercle soudé. Participent de cette même recherche les formes encore reconnaissables des théières, pots à lait, pichets et saucières aux anses aplaties, étirées, des becs verseurs soit pincés, soit évasés à l’extrême dans une recherche d’élégance visuelle et formelle très raffinée. Leurs parois, parfois retouchées à la main, accrochent de cette façon la lumière et semblent comme en métal martelé. Le lien est facile alors à établir avec la vaisselle de métal trouvée lors de fouilles archéologiques (vaisselle en argent de Pompéi, coupes de bronze plus anciennes encore). Ces pièces, « encroutées » de concrétions et d’oxydes qui doivent être dégagées afin de retrouver leur forme première, laissent échapper des volutes des matières qui peuvent évoquer la chaleur se dégageant du liquide contenu.
Alors, emplissant les moules de coton imbibé de porcelaine qui disparaîtra lors de la cuisson, Rebecca a décliné les possibilités qui lui étaient offertes. Tout d’abord en conservant la forme d’origine et en l’emplissant simplement de telle manière que l’on peut imaginer une vapeur s’échappant du bec ou un liquide qui, sous la chaleur, va mousser et déborder de son contenu. Ensuite, par étapes, tout en ne conservant que ces cotons, elle va envahir la forme, la remplir de plus en plus pour aller jusqu’à un éclatement de celle-ci qui laisse imaginer les deux parties du moule de départ complètement disjointes à la cuisson, comme éclatées sous la pression de leur délicat contenu, donnant ainsi naissance à ces « archaeozoikum » en référence à la période géologique de l’Archéen qui commence avec l’apparition de la vie sur Terre.
Un questionnement à la fois inspiré et sensuel sur des objets que nous utilisons tous les jours sans plus les voir mais dont les riches possibilités sous-jacentes pourraient, elles aussi, les transformer en une « vaisselle de fable ».
Eric Berthon