Comme tout matériel céramique, explique Pierre Dutertre, « un support d’enfournement, une plaque réfractaire est un investissement indispensable à la vie du céramiste. Plus qu’un investissement, la plaque d’enfournement est l’outil du potier. Il prend soin d’elle et lui confère une attention toute particulière. L’engobe la recouvre, la protège et l’épargne des blessures éventuelles. Pourtant, cela ne suffit pas toujours. Accidentellement une goutte ou une coulure d’émail vient la blesser. Délibérément, je choisis d’accentuer cet accident. »
De palimpseste chargé d’histoire* la plaque d’enfournement devient alors page sur laquelle un « texte », un décor prendra place. C’est donc cette blessure et la réflexion qu’elle engendre, qui est le point de départ du travail exposé aujourd’hui à accroTerre.
Normalement, la plaque réfractaire est enduite d’un engobe blanc, épais, afin d’éviter que les pièces enfournées s’y accrochent pendant la cuisson. Bien sûr, lorsque l’émail d’une pièce coule sur cet engobe, un effet imprévu et indésirable se produit plus ou moins heureusement selon les matériaux utilisés. Une sorte de « peinture automatique », « aléatoire », comme le dripping de Jackson Pollock sur la toile, que Pierre va vouloir maîtriser afin d’en tirer parti. C’est ainsi que de pièce utilitaire confidentielle à la fonction bien définie, Pierre érige la plaque d’enfournement et ses « accidents » au rang d’œuvre à part entière. Mais est-ce aussi simple ?
Si l’assimilation de la plaque recouverte d’engobe à la page blanche qui attend l’intervention de l’artiste est plus où moins évidente, d’autres étapes sont nécessaires avant d’obtenir le résultat désiré. En effet Pierre n’est pas de ceux qui se contentent d’avoir une bonne idée. Par exemple, l’engobe poudreux qui donne l’impression de papier artisanal recyclé n’est pas stable ? Pierre en modifie la composition pour remédier au problème tout en en conservant l’aspect.
Et ainsi, de modifications en trouvailles, Pierre varie ses supports (bols, plats, vases, plaques) élabore son « encre » de manière à pouvoir poser son décor. Celui inspiré de son jardin, comme le souvenir de ses plats d’antan, mais très graphique, sans les riches émaux colorés auxquels il nous avait habitués. Des silhouettes de bols alignés, des passants (plats « aux passants »), un décor gestuel très graphique (table basse réalisée en collaboration avec un ferronnier d’art, vases) et enfin presque du dripping pour les quatre tuiles dont la spirale a été réalisée sur les pièces posées à même le sol en partant de l’intérieur.
Utilisation de plaques d’enfournement entières ou fracturées, variations de densité de cobalt, d’épaisseur d’émail, déclinaison des éléments évoqués précédemment tels sont les ingrédients de la nouvelle recette élaborée avec talent, maîtrise et sensibilité par Pierre, à laquelle il nous invite aujourd’hui à goûter. Il y rajoute, avec l’humour qui est le sien, quelques pièces revêtues d’un bleu « schtroumpfs » (sic) comme un coin de ciel ensoleillé de sa Provence qui viendrait éclairer le gris de notre quotidien.
Eric Berthon
* comme dans le travail à Quatre Mains d’Anne Verdier et Jérôme Galvin présenté à la galerie accroTerre en mars 2012.