Depuis son exposition Paysages intérieurs en 2011 à la galerie accroTerre, Marit Kathriner a présenté ses œuvres à Mons, Bruxelles et Andenne en Belgique, à Oslo en Norvège et obtenu le prix du jury du Salon Céramique 14 à Paris en 2012. Ce prix témoigne, s’il en était besoin, de la qualité de son travail et de la sensibilité de son inspiration
En effet, que ce soit avec la porcelaine ou le grès, elle explore de manière intuitive son rapport à la matière. Elle élabore ainsi des volumes soit isolés, soit en relation les uns avec les autres dont chaque colombin, tel un nerf façonné à la main, rend la structure « vivante », hésitant entre le sombre et le lumineux, l’animal ou le végétal. La nature conserve ainsi une place prépondérante dans son répertoire. C’est encore le cas aujourd’hui puisque pas moins de onze pièces en procèdent directement.
Si, dans celles intitulées Nature, celle-ci est évoquée avec une matière noire ce n’est certainement pas parce qu’il s’agit d’évoquer « les faces sombres, de la vie, de soi-même » comme elle le dit elle-même, mais certainement la beauté âpre de la nature, les faces escarpées des montagnes et leurs falaises abruptes.
Car, de ses Alpes suisse natales et des nombreuses randonnées et escalades entreprises en famille avec son père, elle a conservé une sensibilité constante aux paysages naturels ou urbains qui l’entourent. Elle réalise ainsi des œuvres en osmose consciente ou non avec son environnement. Elle passe alors de Sommet d’émail neigeux revêtu, aux Paysage proprement dit rendus plus picturaux par l’emploi de couleur verte contrastant avec l’émail blanc. Devenus plus petits, comme concentrés, maîtrisés, il semble que leur importance s’amoindrisse dans son esprit, que leur souvenir occupe une place moins large. Charles Baudelaire n’écrivait-il pas en 1857 Aux yeux du souvenir que le monde est petit, dans le poème Voyage, (Les Fleurs du Mal) ?
Dans le même temps, son environnement se conjugue, depuis quelques années, en famille. En témoignent les Enlacement dans lesquels apparaissent des corps qui se serrent puissamment ou qui dansent, saisis dans une figure qui s’éternise alors que la tension de l’étreinte ou du mouvement est soulignée par des lignes de force qu’évoquent les minces colombins d’argile.
Il en est de-même de ses Coiffe qui évoquent les complexes chevelures de colombins dont elle a souligné les têtes élaborées par Laurent Dufour lors de leur exposition commune à la galerie Empreinte au printemps 2014. Aujourd’hui, ce tissage, ces complexes nœuds de fils, sont traités pour eux-mêmes et pour l’aspect plastique quasi architectural qui est le leur.
Mais ce sont les pièces intitulées Substance, qui ont donné le titre de l’exposition actuelle, dont la richesse retient le plus l’attention.
Elles font, en effet, comme une sorte de synthèse entre travaux passés et expériences diverses.
Pour les formes et pour la technique, il s’agit toujours pour Marit Kathriner, qui a abandonné le tour depuis sa dernière exposition en ce lieu, de modeler des volumes épanouis qui se déploient plus ou moins dans l’espace. Sur ces pièces, un émail épais, brillant qui souligne la forme et laisse apercevoir sa structure interne, comme un vêtement moulant laisse deviner le corps qu’il revêt. Cet émail témoigne de toute sa maîtrise du four électrique avec lequel elle travaille depuis qu’elle n’utilise plus le four à bois de Brigitte Pénicaud et son installation à la Gare, près de Saint-Denis-de-Jouhet.
« Après le bois, les résultats (obtenus dans un four électrique) nous ont d’abord parus tristes, puis on s’est rendus compte que, quel que soit le four, il faut juste beaucoup d’expérience pour en faire un outil à part entière. » Et c’est bien ce qu’il est devenu puisque Substance 1 est revêtue d’un émail caramel nacré, iridescent que l’on croirait obtenu dans un four à bois.
Ainsi, la pâte d’émail épaisse et opaque, qui ornait les sommets de certaines des pièces exposées lors de Paysages intérieurs et que l’on retrouve sur Sommet, est devenue plus fluide et revêt maintenant toute la pièce de reflets irisés évoquant les émaux de cendre avec lesquels elle a travaillé il y a une dizaine d’années.
Gageons que sur des bases aussi assurées tant en ce qui concerne l’inspiration que la réalisation technique Marit Kathriner saura offrir, pour longtemps encore, à notre délectation, des œuvres à son image, secrètes et généreuses.
Eric Berthon