La galerie accroTerre a le plaisir de présenter aujourd’hui les travaux du sculpteur italien Ettore Greco et du peintre français Arnaud Franc. Le plaisir et l’honneur, car Ettore Greco, qui a participé en 2011 à la 54è Biennale de Venise dans le pavillon italien, était invité, il y a presque un an, à l’Espace Cardin où ses bronzes et plâtres, de grande taille, émerveillaient les visiteurs.
De plus petites dimensions, les pièces réalisées spécialement pour cette occasion, galerie oblige, sont toutes en terre cuite patinée. Cet « artiste qui sait saisir et sublimer avec justesse et sensibilité dans tous ses aspects et ses tourments le corps humain » (Pierre Cardin, catalogue de l’exposition Issue de Secours, Paris, 2013) nous propose satyres, martyrs et, pour la première fois, deux groupes. Ainsi, à une certaine animalité sujette aux tourments de la chair et de l’ivresse, répondent des êtres qui souffrent la mort pour leur foi religieuse et qui supportent de ce fait les tortures infligées par leurs bourreaux indépendamment de la douleur physique ressentie. Le rendu de celle-ci, exprimée par l’extension ou la crispation des membres, la tension des muscles, la révulsion des têtes témoigne de la facilité qui est la sienne dans le rendu de modelés expressifs accrochant la lumière. Seul un début de décollation souligne qu’il s’agit de martyrs car ces corps pourraient aussi bien être tendus dans les plaisirs d’une orgie dont l’artiste nous laisse imaginer les instruments.
A ces pièces s’ajoutent deux autres intitulées Apocalypse qui représentent chacune trois chevaux accompagnés de personnages qui chutent dans le vide, les uns terrifiés, les autres hurlant leur peur atroce. Inscrits entre deux plans, il serait possible de les imaginer comme des bas-reliefs, si le jeu des membres des participants n’incitait pas à vouloir en voir le revers. Décentrés par rapport à leur base, ces enchevêtrements de personnages sont tout simplement éblouissants de modelé, de précision et de mouvements contenus, retenus, tout en semblant exploser dans l’espace. Et, si les équidés évoquent les quatre cavaliers de l’Apocalypse dont chacun d’entre eux annonçaient une série de malheurs bien spécifique, terribles combats, mort et dévastation, on songe aussi à la Bataille d’Anghiari de Léonard de Vinci au Palazzo Vecchio de Florence où les animaux formaient une masse compacte. Sur ces pièces, l’artiste a appliqué une patine noire qui donne l’impression qu’il s’agit d’oeuvres du début du 16ème siècle italien, époque où les artistes comme Andrea Briosco dit Riccio, padouan comme Ettore Greco, et son élève Pier Jacopo Alari Bonacolsi dit L’Antico ont réalisé nombre d’oeuvres en bronze inspirées de l’antiquité. Dans l’un des groupes, enfin, la présence d’une femme, dont le corps semble foulé par les chevaux montre, s’il en était besoin, l’universalité de la condamnation qui guette l’humanité.
A ces sculptures qui inscrivent fortement leur présence dans l’espace, répondent les dessins aux puissantes couleurs d’Arnaud Franc dont les personnages semblent danser sur les murs dans une sorte de transe bachique pour les uns et d’extase mystique pour les autres. A l’instar Ettore Greco, Arnaud Franc est captivé par le corps humain avec lequel il entretient un rapport d’admiration pour les multiples déformations qu’il peut subir sous l’effet soit d’un mouvement, soit d’une émotion.
Mais, Arnaud Franc travaille, lui, d’après modèle. A celui-ci, il laisse le plus souvent le choix de la pose. Dès qu’il ressent son énergie, il réalise de manière quasi-automatique une œuvre très graphique à partir de techniques mixtes dont la palette s’est élargie ces dernières années limitant l’usage du fusain au profit du pastel, crayon gras, acrylique, aérosol…Les lignes directrices une fois posées, il ne travaille plus qu’avec la couleur qui « habille », souligne, accentue un mouvement, une attitude, dans une sorte de chorégraphie sensuelle et barbare laissant ou ménageant toujours au support des espaces de respiration qui équilibrent l’ensemble.
Après un choix de pièce aux tonalités plus retenues qui ont été montrées à la galerie accroTerre, lors de l’exposition Cristallisation en juin dernier, c’est donc au tour de celles où l’énergie se fait le plus sentir d’être exposées, témoignant de sa capacité à saisir et fixer l’agitation, quelle qu’elle soit, des modèles qui évoluent devant lui.
Tous ces personnages, qu’ils soient peints ou modelés, lancent leurs membres dans l’espace où triomphent le corps et la ligne colorée. Celle-ci enserre certes, mais aussi souligne, évoque parfois le sens exaspéré qui est à l’origine de cette agitation qui reprend le négatif des corps suppliciés, torturés qui s’ébattent sous nos yeux dans des cruels, mais si expressifs, Ebats des sens.
Eric Berthon