C’est avec un immense plaisir que nous retrouvons l’univers de Laurent Dufour qui n’en finit pas de nous ravir. Ses personnages, à la fois proches et mystérieux, nous invitent à les y rejoindre sans susciter la moindre inquiétude de notre part. Empruntant aux tags et aux graffitis, mais se souvenant aussi des statues de l’Ile de Pâques, des masques africains ou Boli, des totems amérindiens, ou de la mythologie égyptienne, ils rêvent d’être des super héros dont ils prennent souvent l’apparence. Masqués, plus par pudeur que pour ne pas être reconnus, ils évoluent avec aisance dans un monde où lapins et autres bêtes fantastiques évoquent notre côté animal plus ou moins assumé.
Ce petit monde, tour à tour grave, énigmatique, mais toujours séduisant témoigne du raffinement de la palette de couleurs de l’artiste qui compte désormais, à côté du bleu, du vert et du brun, des tons de gris, de beige et un très beau rouge tandis que le traitement des surfaces confère comme une couleur aux diverses textures.
Car Laurent travaille davantage la surface. Outre les scarifications et les tatouages de Bloc il développe un décor par incisions. Plus où moins profondes, elles trouent la matière pour les yeux, alors forcément noirs, et restent en surface pour l’animer d’un décor plus ou moins abstrait comme dans Tête rouge sur tête blanche dont une des têtes semble vue à travers un tourbillon de feuilles. La matière est aussi davantage texturée comme s’il s’agissait de fourrure dans Tête grise ou de graines dans la tête masquée du même nom. Mais aussi un décor d’impression avec Red ou Quatre yeux. Sans oublier Bleu neige et son magnifique émail blanc granuleux si évocateur qu’il donne l’impression que la pièce est givrée.
Enfin, des scènes apparaissent comme dans Roi et surtout Chamane qui annoncent de futures installations tandis que les personnages ne sont plus seuls. Ainsi trouvons nous, en plus de Tête rouge sur tête blanche, Quatre mains et surtout Trois qui font référence, à n’en pas douter, à un heureux événement…
Est-ce lui qui confère à chaque pièce cette énergie contenue et cette attitude énigmatique ? Car nous avons comme une palette de sentiments divers qui vont de la curiosité à la surprise en passant par le mystère de Bleu, en vitrine, dont la texture, très travaillée, est simplement percée de deux minuscules trous à peine visibles pour les yeux. Mais, le sentiment d’attente sereine n’est il pas le plus présent ? Alors que Boli nous parle certainement de magie, celle de la vie qui se développe et prend forme.
Et toute cette vie se densifie, gagne en profondeur et se pose, à l’instar du travail de la matière et du dessin car « le graphisme emmène et tisse des liens à l’autre » alors que la couleur prend forme et caractère. Il parle d’appartenance à une tribu, la notre, laquelle userait, pour se définir, d’une figure de style – la synecdoque particularisante – consistant à nommer l’ensemble à partir d’un élément de détail ainsi que le fait Bois.
Eric Berthon