Céramique ou peinture ? Telle est la question que chacun peut se poser devant les pièces accrochées aux cimaises comme le Triptyque ou les plats, dont le caractère pictural n’est pas à démontrer, lesquelles voisinent avec une peinture dont certains « Totems » de céramique semblent être les modèles.
C’est que Jacques Pouchain, qui s’installe à Dieulefit dans les années 1950 après des études d’architecture à Paris, cherche avant tout un lieu pour peindre.
Cependant, comme il faut bien vivre, il trouve un emploi à la faïencerie de Poët-Laval et apprend le travail de la terre. Ouvrant son propre atelier en 1958, il y développe une production de céramiques utilitaires qui sera diffusée dans cinq ou six boutiques à Paris. A partir du répertoire de formes traditionnelles et populaires qu’il reprend à son compte, il réalise des pièces dont le décor s’inspire de l’art moderne et primitif et qu’il veut accessibles à tous.
Anthropomorphes ou zoomorphes au début, elles deviennent progressivement géométriques comme c’est le cas pour les vases-boites qui sont exposés ici, aux côtés animés de stries comme les traces d’une large brosse de peintre. Ils sont là, massifs, architecturés, accrochant la lumière de tous les « reliefs » de leur surface. A côté trônent des sculptures, ou plutôt des « formes », comme Jacques les nomme. Elles empruntent aux « totems » de l’art primitif, parfois aux éléments architecturaux asiatiques et sont comme de grands signes qui ponctuent l’espace et qui semblent issus de ses peintures. Enfin, il joue de ses plats tissés de bandes de couleurs comme il le fait de ses toiles.
Ainsi, la céramique de Jacques et sa peinture se sont tournées vers l’abstraction à l’instar des recherches des artistes dont il avait pu voir le travail dans sa jeunesse.
Il avait en effet 20 ans en 1947 et si l’on s’intéresse à la scène artistique de l’époque force est de constater que c’est le moment où se développe, en France, l’art abstrait avec les expositions à Paris des œuvres de Hans Hartung, Pierre Soulages et Nicolas de Staël pour ne citer que des artistes dont la carrière est, à ce moment là, surtout hexagonale.
Sur la toile, sa matière épaisse est composée de couches de peinture superposées et d’empâtements au couteau. Il y rajoute parfois des éléments divers pour animer encore la surface et accrocher la lumière. Le noir domine dans un espace frontal de plans horizontaux et verticaux animés parfois de plages de couleur. Sa céramique, d’hier et d’aujourd’hui d’ailleurs, évolue dans des camaïeux d’ocre et de beige, de marron et de gris, ici de noir avec parfois des accents de couleur comme du rouge vif, du bleu presque noir et du vert malachite.
La céramique, quant à elle, joue des oppositions entre les parties mates et celles rendues brillantes par l’emploi d’émail, entre le lisse et le rugueux à tel point que l’on pense qu’elles sont la mise en trois dimensions de ses peintures.
Une œuvre donc, austère et dure, à l’image du pays qu’il habite, terre protestante, rigoureuse mais ouverte à l’autre, qui n’hésite pas à se parer d’élégance comme ces touches de cuivre qui donnent à ces formes l’aspect du bronze à la riche patine changeante.
Eric Berthon