Très connu pour son travail de pièces utilitaires au décor de cobalt réduit à l’essentiel, Johannes Peters l’est moins pour ses pièces de forme. Pourtant, ma première rencontre avec son travail s’est fait lors de la rencontre d’un plat étroit et long terminé par deux anses. Réalisé dans ce grès qui lui est habituel, il était revêtu d’un engobe blanc animé de quelques gouttes de bleu cobalt et d’une couche d’émail incolore. Tout dans cette pièce parlait le langage de la simplicité : que ce soit le travail des anses semblables à l’empreinte des mains de l’artiste dans la terre encore fraiche, les gouttes comme jetées au hasard sur le fond, l’empreinte même du pouce de Johannes au revers emprisonné dans la terre et dans l’émail. Qu’avait donc cette pièce pour retenir le regard ? Cette simplicité ou devrais-je écrire cette pseudo simplicité car, comme une fable de La Fontaine qui semble écrite d’un seul jet, ce plat à cake semblait pouvoir être réalisé par n’importe lequel d’entre nous.
Mais combien d’heures de travail fallait-il pour parvenir à maîtriser ces simples gestes ? Pour que les mains laissent exactement la trace nécessaire à la préhension du plat mais aussi pour que leur équilibre visuel soit parfait ? Pour que les quelques gouttes de cobalt animent suffisamment l’objet ?
Point de ce plat ici mais des pièces aux formes élancées reprenant les trois engobes avec lesquels l’artiste travaille incolore, crème et miel revêtus d’émail transparent, de rares traces de cobalt ça et là mais surtout le jeu subtil des épaisseurs des uns et des autres qui permettent de faire vibrer les matières par transparence, par superposition…
Et chacune de raconter comment elle est devenue assiette, bol, boite, vase à partir de la boule de terre travaillée à mains nues amincie, étirée à la volée comme une pâte à gâteau avec ses éventuelles variations d’épaisseurs voire ses bourrelets. La matière devient alors soit assiette, soit s’enroule sur elle-même, s’affaisse un peu en s’élargissant, se gonfle sous la pression de la main dont elle conserve la marque, se couture par pincements dont certains cèdent au séchage et laissent alors des ouvertures que l’émail colmate avec peine. Car ce n’est pas la fonction que l’artiste recherche mais la forme, une forme qui mémorise comme nous pouvons le voir toutes les étapes de sa création jusqu’à la pose de l’engobe et de l’émail. Et c’est ainsi que les coulures tout en témoignant de l’émaillage deviennent décor et même ballet sur le vase à oreilles du carton, ballet des mains de l’artiste saisissant la pièce et la tournant pour les différentes étapes de son décor alors que les coulures se mêlent comme une chorégraphie qui laisse au ralenti son écriture dans l’espace.
Privées de tout repentir, les œuvres sont là, immobiles dans leur simplicité factice dont l’élégance sans affectation témoigne de la parfaite maîtrise par l’artiste de son art.
Eric Berthon