Le titre de « Primitives » peut surprendre car « primitives » se dit des sociétés ne connaissant pas l’écriture et ne pratiquant ni culture, ni élevage. Or des vases de grès et de porcelaine, certains anthropomorphes, des bols et même une pièce évoquant une meule se côtoient tandis que plats et tableaux indiquent une maturité sociale.
Primitives alors en référence à la cuisson au feu de bois et en ce qu’elle implique de vie en groupe dans une monde où l’individualisme est roi puisque, du fait de sa durée, de trois à cinq jours, il faut constituer des équipes afin d’alimenter le foyer en permanence, préparer de la nourriture et des provisions de combustible.
En l’espèce, c’est plutôt à « brut » que renvoie primitif du fait de la rapidité et de l’apparente simplicité du décor largement posé au pinceau ou soigneusement gratté, sgraffité, et qui s’adapte tout naturellement à toutes les formes précédemment évoquées comme dans les œuvres de Jean Dubuffet ou Pierre Alechinsky.
Mais ce décor sur des formes rondes symbolisant la « gestation » dont chaque œuvre est porteuse ne serait-il pas comme la longue élaboration d’un ordre social et des différents rapports hiérarchiques qui structurent une société ?
Primitif, alors ce discours qui s’élabore entre les personnages, discours qui se poursuit parfois dans les vignettes apposées tout autour et qui complètent, soulignent l’échange principal. Car échanges il y a : entre personnages de même taille – de même rang social-, ou entre des personnages de taille différente qui introduisent rapports sociaux, voire hiérarchique. Le rouge, qui revient comme un leitmotiv, semble donner le ton de la conversation, animée, voire violente alors que le fond noir aux personnages scarifiés, serait comme la mise au point ultime, l’acceptation de l’ordre établi.
Pour ma part, ce rouge n’est qu’une couleur qui, à la manière de Fernand Léger, se dissocie de la forme, prend sa liberté pour mieux souligner, faire ressortir les scènes. Certes, une ou deux sont plus violentes et les personnages « montrent les dents » comme sur la plaque de porcelaine aux deux personnages qui s’invectivent, ou sur la « meule » dont la scène de discussion semble très animée. Dans le même temps, il reste des sentinelles qui montent la garde. Mais qui protègent-elles ? Un monde inique de profiteurs ou une cité policée ? Ces rondeurs sont-elles prémonitoires de consensus ou de manipulations ? Quelques coulées de jaune ou de rouge pourraient sembler des émeutes réprimées et les éclairs des lames des épées mais elles peuvent également être lues comme des lumières qui viennent éclairer la scène qui se déroule sous nos yeux.
Mon sentiment reste celui d’une œuvre qui en quelques années a profondément muri, et qui sait équilibrer action, douceur et adéquation à la forme retenue.
Que faut-il voir alors ? C’est là la force de Frédéric qui, à partir de sa propre expérience, à partir de ses convictions personnelles, va proposer à chacun avec « Primitives » une interprétation qui lui soit propre et qui lui permette d’adhérer à son œuvre.